Dans une société effervescente où chaque seconde, chaque parcelle de notre quotidien est enregistré, capté, sauvegardé et transformé en data, en information froide traduisant une préférence comportementale et ainsi une opportunité marketing pour qui achètera et saura exploiter cette donnée, très peu d’activités échappent au contrôle et à l’analyse omnipermanente.
La lecture est l’une d’entre elles, et il s’agit là d’une activité qui ne manque pas de sécurité puisqu’elle vous protège de tout data leak, mais qui, en plus, régénère des aptitudes cérébrales autrement réduites par la consommation bien trop importante d’écrans.
Et quel nécessité que de prendre le temps de lire, de redécouvrir des grands classiques de la littérature, que de s’engouffrer dans de magnifiques pavés de la littérature russe, que de découvrir des sous-cultures révélées par tant d’auteurs, Jean Genet ou Goliarda Sapienza en tête, que de revivre la France du 18ème siècle grâce à Zola, que d’explorer l’idéologie politique du Comité Invisible, que de trembler, pleurer, et vivre à l’unisson de personnages desquels on pénètre l’intimité ? La lecture, c’est partir à la conquête de ses émotions et de son cerveau, c’est s’extraire de son réel pour pénétrer l’imaginaire de protagonistes qui vivent, qui vivent tant et si bien que l’on ne manque pas de vouloir s’immerger dans leur quotidien.
Chaque page n’est alors qu’une nouvelle heure que l’on passe dans ce quotidien autre que le notre et chaque fois que l’on lève la tête de ces pages que l’on dévore, c’est pour mieux s’ancrer dans notre réalité qui nous échappe à cause de cet autre univers dans lequel on se plait pourtant tant.
Et le trajet en métro touche à sa fin, il faut oser s’extraire de cette passion qui en tolère aucune autre échappatoire que la fin du livre, et tout cela pour retrouver la foule désincarnée, si loin de cet intense et vibrant torrent d’émotions. Retrouver la foule, son téléphone et donc se retrouver en face à face avec ses traceurs numériques, ces robots qui ne partagent rien de la profondeur des personnages esquissés par un auteur.
Prendre le temps de lire, c’est essentiel pour se retrouver confronté à ce tourbillon interne qui nous anime et qui ne peut s’alimenter de contenus dépourvus d’âme, de ce téléphone qui manque de conversation, de vraie conversation. En somme, prendre le temps de lire, c’est prendre le temps de vivre.